"J'admets que le Camp est terriblement difficile à définir. Il faut le méditer et le ressentir intuitivement, comme le Tao de Lao-Tseu. Quand vous y serez parvenu, vous aurez envie d'employer ce mot chaque fois que vous discuterez d'esthétique ou de philosophie, ou de presque tout. Je n'arrive pas à comprendre comment les critiques réussissent à s'en passer."


Christopher ISHERWOOD, The World in the Evening

"Le Camp, c'est la pose effrénée, l'affectation érigée en système, la dérision par l'outrance, l'exhibitionnisme exacerbé, la primauté du second degré, la sublimation par le grotesque, le kitsch dépassant le domaine esthétique pour intégrer la sphère comportementale."

Peter FRENCH, Beauty is the Beast



samedi 2 avril 2016

LE RUISSEAU (1938)

LES BONNES COPINES DE VALENTINE #12

"Laisse aller, c'est une valse!"

Par Valentine Deluxe


Youpi ! Pâques est enfin passé, le changement d'heure nous fait prendre l'apéro une heure plus tôt, Christ est ressuscité... et Valentine Deluxe aussi !
Oui, je sais, il était plus que temps... La trêve des confiseurs a pris chez nous des tournures de fête de la marmotte à Punxsutawney ! Alors, plutôt que d'essayer de vous faire gober quelque excuse vaseuse, tablons sur la franchise et parlons sans détour :
je suis d'un naturel plutôt feignasse, ces temps-ci !

Valentine Deluxe au piquet !


Bon, là-dessus, tournons la page et entrons dans le vif du sujet !
Qui aurait pu croire que l'inénarrable et irascible Jenny Stewart avait de la famille du côté de Paname ?
Je vous rassure tout de suite, moi-même, malgré ma légendaire érudition (même Pierre Tchernia et Patrick Brion m'appelaient pour corriger leurs fiches !), j'en suis restée comme deux ronds de flan à la découverte de ce scoop historique !
Bon, je n'ai pas encore reçu le résultat des tests ADN, mais tout semble concorder :
  • Tempérament acariâtre proche de la pathologie.
  • Garde-robe criarde (même si nous serons ici en noir et blanc)
  • Ego surdimensionné
  • Haute propension aux débordements dramacouinesques en tout genre
Ai-je des preuves de ce que j'avance ?... Un peu, mon neveu !  
"Le ruisseau", une pièce à conviction de 92 minutes signée Maurice Lehmann et Claude Autant-Lara, bonne grosse salade mixte où l'on trouve de tout, beaucoup, deux fois (et avec de la sauce).
Passant allégrement et sans complexe du mélodrame le plus éhonté à la gaudriole gauloise décomplexée, avec toute une galerie de personnages hauts en couleurs allant de l'orpheline vertueuse à la fille perdue, du vieil aristo décavé au marin vertueux, l’œuvre incriminée doit surtout  d'être sauvée d'un oubli relativement peu mérité - c'est mon humble avis, faites-en ce que vous voudrez - par l'incroyable Regina Berry!
Bien sûr, il y a déjà à la base une distribution des plus séduisantes, où brille une délicieuse Gaby Sylvia en oie blanche, Ginette Leclercq en mauvaise fille au grand cœur - ébauche du rôle qu'elle tiendra au bas mot 157 fois durant sa belle carrière -, et Michel Simon plus cabotin et  libidineux que jamais.

Mais dans tout ce petit monde qui s'agite en tous sens dans une intrigue passablement compliquée que je me garderai bien d'essayer de vous démêler (pas folle, la guêpe), celle qui fait passer l’œuvrette en question du tout venant à l'inoubliable, c'est bien sûr la môme Regina.
Surtout quand cette ribaude est incarnée par la sublime Françoise Rosay, qui fait  son grand retour dans nos colonnes depuis notre spécial "Fête des Mères" d'il y a (déjà) 2 ans.


Le grand retour de Françoise Rosay 
(sous vos applaudissements)...

Sautant des planches de l’Opéra Royal de la Monnaie au carton-pâte des studios de Boulogne-Billancourt,  en 65 ans d'une carrière cinématographique aussi riche que variée, allant de Louis Feuillade à Michel Audiard, Françoise Rosay, aura tout joué : les Mater Dolorosa comme les mauvaise mères, les intrigantes et les rosières, les ingénues comme les vieilles dames indignes (Ah! La tante Léontine !)

Françoise Rosay va faire son marché.

Vous avez bien cinq petites minutes ? Parce qu'avec l'abondance de la matière, j'ai eu du mal à trancher. Alors du coup ça déborde, ça dépasse, ça mord sur la ligne.
Y en a peu plus... Je vous le mets quand même ?
Oui ? Magnifique !... Prenez un siège, j’amène les rafraîchissements !

Alors, comme il se doit, je vais maintenant la boucler, et vous laisser découvrir comment la Regina  fait tourner tout son petit monde à la baguette...


Au moins, on ne pourra pas dire qu'elle s'acharne sur le petit personnel, car il n'y a pas que les chorus girls qui en bavent. Son (obséquieux) costumier, son associer (poltron), son comptable (véreux), tous ensemble tremblent - en rythme, sinon ça va encore leur valoir une scène ! - sous la coupe implacable - on n'oserait dire "tyrannique", car elle a l'oreille fine ! - de Mlle Berry.

Mais quand son grand marin de fils chéri, prunelle de ses yeux, 7ème merveille de son (demi-)monde, lui envoie une pauvre petite orpheline afin de la prendre sous son aile protectrice et maternelle en attendant son retour ("Femme à marin, femme à chagrin", c'est bien connu), Regina, subitement, nous montre une facette moins connue et accessible de sa personne.
Et oui, sous l'épaisse carapace d'acier trempé se cache une âme de pélican, de petite mère des pauvres, de madone des 7 misères.
Le cœur sur la main, Mme Regina ! (... main qu'elle a vite fait de vous envoyer dans la figure si ça ne roule pas comme elle veut)


"Regina, c'est Paris"! nous sommes bien d'accord... mais plus Ménilmuche que Neuilly, ça ne fait aucun doute.
Et avec elle, même toute endimanchée dans sa superbe décapotable, le ruisseau (ouiiiii, celui du titre !) n'est jamais bien loin.

"Il me plaît bien, ce vieux-là. Il est faisandé, mais il a de la branche..."

 Le vieux en question, c'est Michel Simon, aristocrate sans le sou, spécialiste en photographies "d'art" (si vous voyez ce que je veux dire....), qu'elle va soudoyer pour offrir à son fils - illégitime ! - une paternité et un titre de noblesse par la même occasion.
Vous pensez bien qu'elle avait
quand même d'autres ambitions pour son chéri-bibi que de le voir s'amouracher de la première traîne-misère qui passe par là.
Pas la peine de s'être donnée tout ce mal si c'est pour se faire caver par un petit boudin ! 

Sur ce, un intermède musical:

 

Vous voyez, un peu revêche peut-être, mais même si l'Enfer est pavé de bonnes intentions, elle n'est pas foncièrement mauvaise, la Régina.
Là-dessus, en guise de conclusion, je ne résiste pas à la rappeler pour nous refaire son inimitable petit salut de la main aux fauchés du deuxième balcon.




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