"J'admets que le Camp est terriblement difficile à définir. Il faut le méditer et le ressentir intuitivement, comme le Tao de Lao-Tseu. Quand vous y serez parvenu, vous aurez envie d'employer ce mot chaque fois que vous discuterez d'esthétique ou de philosophie, ou de presque tout. Je n'arrive pas à comprendre comment les critiques réussissent à s'en passer."


Christopher ISHERWOOD, The World in the Evening

"Le Camp, c'est la pose effrénée, l'affectation érigée en système, la dérision par l'outrance, l'exhibitionnisme exacerbé, la primauté du second degré, la sublimation par le grotesque, le kitsch dépassant le domaine esthétique pour intégrer la sphère comportementale."

Peter FRENCH, Beauty is the Beast



mercredi 13 juin 2012

GRIMPE LA-DESSUS, TU VERRAS MONTMARTE !


"Vous voyez ce qu'il veut dire, mademoiselle Skeffington ?..." #1
par Valentine Deluxe

Mes enfants, l’heure est grave !
Je vais vous demander un petit instant d’absolue franchise, aussi furtif qu’un pet de lapin, mais qui ne pourra souffrir la moindre esquive vers la bien commode et diplomatique hypocrisie, celle-là même qui nous sauve la mise plus souvent qu’à notre  tour dans c’te foutue chienne de vie.
« Tu aimes ma nouvelle robe ?... »
« Tu ne trouves pas que j’ai un peu grossi ?... »
« Il est bon mon gigot ?... »
Qui d'entre nous n’y est jamais allé de son petit mensonge blanc devant ces questions-pièges, ces suppliques aux accents de désespoir, formulées avec des yeux de poney diabétique par des copines dépressives, toujours à deux doigts d’ouvrir le robinet du gaz ?

 "Tu aimes ma nouvelle robe ?... Tu ne trouves pas que j'ai un peu grossi ?..."

Eh bien pourtant, moi qui vous parle (enfin, « qui vous écris »), je vous demande -- une fois n’est pas coutume -- d’abandonner le tact et la conciliation pour la vérité la plus brutale et la moins fardée.
Approchez-vous et regardez-moi dans le blanc des yeux (que j’ai un peu jaune, suite à l’excès de spiritueux frelaté dont nous faisons grande consommation dans les bureaux rédactionnels de votre blog préféré), et avouez donc : en lisant mes interminables phrases de 17 lignes sans respirations ni points-virgules, devant mes métaphores brumeuses, ou face à mes associations d’idées saugrenues, lequel d’entre vous ne s’est jamais demandé : « Mais qu’est-ce qu’elle raconte ???... »
Hein ???
Hein, dites ???
Hein qu’c’est vrai ???
Oui ?
… OUI !?!
Ah, bougres de p’tits salopiaux ! Y a pas fallu vous pousser beaucoup pour que vous glissiez dans l’odieux et l’infâme!

En même temps, je l'avoue le front bas et le menton tremblant : vous n’avez pas tout à fait tort. Il est vrai que parfois, mon style quelque peu ampoulé et mes envolées lyriques ne rendent pas ma pensée aussi limpide, mon propos aussi immédiatement déchiffrable que je l’aurais souhaité. « Abondance de biens… », dit-on !
Mais vous allez voir que je ne suis pas la seule dans ce cas… Car enfin, et c’est là le but caché de cet interminable préambule (également une autre des mes marques de fabrique), nous sommes ici pour inaugurer une rubrique !
Une nouvelle rubrique donc, entièrement dévouée à ces obscures figures de style qui, au détour de l’une ou l’autre petite gâterie cinématographique, nous font toujours nous gratter la tête avec incrédulité, en nous demandant si nous n’aurions pas loupé quelque chose, un sous-texte, un message, voire une cochonceté voilée sous la prose la plus amoureusement fleurie.

Une cochonceté voilée... 

Pour illustrer mon propos, découvrons un morceau -- de bravoure ! -- d’une de ces petites merveilles que je n’aurai sans doute jamais connues sans l’extraordinaire érudition de ma copine de pige, l’indispensable, l’irremplaçable, l’inestimable Mlle BBJane Hudson en personne (pour ne pas la nommer, et sous vos applaudissements nourris).
La pépite en question ? Susan Slade, un des ces sublimes mélodrames dont le cinéma américain des années 50/60 avait le secret, tout en Technicolor sirupeux, en pose affectée et en intrigue tout droit sortie d’un roman-photo pour midinettes.
Ce qui sauve souvent (toujours ?) ces films de la dernière médiocrité, où aurait pu les entraîner le matériau de base, c’est l’extraordinaire professionnalisme de la machinerie. Dans le cas de ce film de Delmer DAVES, si la mayonnaise prend malgré la saccharine, c’est d’abord par la grâce d’une distribution ébouriffante de conviction et absolument parfaite, depuis les vieux briscards (Dorothy McGUIRE, Lloyd NOLAN, Natalie SCHAFER) jusqu'aux jeunes pousses (le craquant minois de Connie STEVENS, ce grand échalas de Troy DONAHUE).


Ajoutez à cela l’absolue perfection de la photographie et de la direction artistique, dont le bon goût calculé se retrouve dans le plus anodin des décors -- il ne nous viendrait jamais à l’idée de vouloir changer le moindre bibelot, tant tout n’est que recherche et harmonie.
Bref, un sans faute, quoi !
Et dans cette histoire incroyablement nunuche d’une oie blanche -- irrésistible  Connie STEVENS -- qui se retrouve fille-mère (so shocking !) après s’être fait allégrement culbutrousser par le premier godelureau croisé sur le transatlantique qui la ramène au pays (so chic !), le metteur en scène, par toutes les qualités précédemment citées, arrive à élever l’historiette de départ jusqu'à des sommets rien moins qu’opératiques.
Et puisque nous parlons de cimes et d’altitude, rencontrons sans retard celui par qui le scandale arrive, et voyons ce qu’il va raconter pour emballer la petit dinde qui vient de tomber dans ses filets de grand prédateur vorace.


Alors, peut être Mademoiselle Tessa Skeffington pourra-t-elle nous éclairer sur le sens caché de cette puissante démonstration ?

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